Une affaire de famille
25 oct. 2024 — 25 janv. 2025
Socheata Aing, Bintou Dembélé, Neïla Czermak Ichti, Abderrahim Makhlouf, Ibrahim Meïté Sikely,
Charline Rolland, Zineb Sedira, Aïcha Snoussi
Commissariat : Horya Makhlouf
photo : vue de l'exposition Une Affaire de Famille, au CAC Passerelle, 2024 © Aurélien Mole
Toute affaire comporte son lot d’ambivalence. Ses mystères et ses rebondissements. Ses secrets et ses révélations. Intime et publique à la fois, sensationnelle et pudique en même temps. Elle ne se donne pas tout entière, ne se résoudra peut-être jamais complètement. Elle est cette petite histoire qui fraye avec de plus grandes. Elle est un nœud à détricoter pour faire apparaître des lignes et des dénouements, des liens et des ruptures, des réponses et d’autres questions encore.
L’affaire dont il est question ici n’échappe pas à la règle. C’est une histoire de lignes qui se croisent et se rejoignent, qui se tissent par-dessus les crevasses pour mieux les reboucher, qui se suivent du bout des doigts timides mais assurés, le long de visages chéris, ou près de corps trop tôt envolés.
Certaines lignées peuvent retracer leurs racines lointaines sur l’arbre généalogique hérité et transmis depuis des générations, remonter les branches multi-centenaires, compter tous les bourgeons. Pour les autres, il faut faire preuve de ressources et appel à l’imagination.
L’affaire qui éclot entre les murs de Passerelle Centre d’art contemporain pousse dans les recoins et les zones d’ombre de ce qu’on appelle les « grands récits », à l’orée des arbres majestueux qu’on a préféré cultiver plutôt que d’autres. Elle se tord et se dénoue au fur et à mesure des reconfigurations, des migrations et des métissages de ses pousses vigoureuses, le long des marges historiques et des périphéries géographiques. L’histoire que font germer les artistes de ce parcours est aussi documentaire que poétique, mais par-dessus tout performative. Elle est l’affirmation d’un arbre généalogique contrarié, de germinations invisibles ou empêchées, de communautés idéales, liées par le sang ou l’amitié, auxquelles se transmettent des gestes et des langues, des visages et des noms, des lieux rêvés et des recettes à réactiver.
Il y a la famille dans laquelle on naît et celle dont on décide de s’entourer, celle que l’on rêve et que l’on construit pour avancer, celle que l’on fait exister malgré les injonctions d’une historiographie plutôt encline à ne collecter que les grandes épopées.
L’affaire de famille qui fleurit ici est personnelle et aspire, du même coup, au collectif. Elle s’est épanouie dans l’art, au contact des branches déployées par les portraits de Neïla Czermak Ichti (1996, Bondy), Ibrahim Meïté Sikely (1996, Marseille) et Charline Rolland (1996, Rennes), dans les transmissions heureuses et malheureuses dont rendent compte Zineb Sedira (1963, Gennevilliers) et Bintou Dembélé (1975, Brétigny-sur-Orge), au travers des recettes et des offrandes de Socheata Aing (1993, Dourdan), le long des racines entremêlées et affamées d’Aïcha Snoussi (1989, Tunisie). Mon histoire de famille s’enracine dans l’atelier de mon père, Abderrahim Makhlouf (1961, Maroc), qui y a silencieusement cousu depuis tant d’années l’équilibre entre des forces contraires, des liens invisibles et des chemins vers la résilience. Elle y trouve le début d’une histoire sans fin. Des racines devenues des forêts. En elles, mon affaire de famille a germiné, fertilisée par le vent et le hasard des rencontres, des recherches et des joyeuses correspondances. C’est à ces membres, ancestraux et réels, idéaux ou disparus, fleurs éternelles, qu’il s’agit ici de rendre hommage.
L’affaire est éclose, l’histoire peut continuer.
Texte de Horya Makhlouf
Je présente mon premier film La Double Absence (2024)
Il y a un an, Socheata Aing a retrouvé une dizaine de pochettes de CDs sur lesquelles étaient inscrits des lieux et des dates, en français ou en cambodgien, qui renfermaient de précieux souvenirs enregistrés par son père il y a bien des années. Un grand ménage et le hasard l’ont poussée à revisionner ce qui était entreposé là en attente d’une suite.
Sur son écran d’ordinateur, elle redécouvre alors les visages aux traits familiers capturés par son père, des paysages de France et du Cambodge qu’il ramenait – pour les partager – d’un bout à l’autre de la famille dispersée entre les deux pays. La barre d’immeuble de banlieue parisienne dans laquelle une partie des Aing a grandi, et la maison ouverte sur l’extérieur dans laquelle les autres sont restés au pays. Les souvenirs partagés entre ici et là-bas se sont empilés, ont circulé et se sont transformés. Ils se partagent et se répondent en échos sur les deux écrans ménagés par Socheata Aing dans La Double Absence. L’artiste y prolonge le geste de son père, monte ses images et réalise, avec lui, un film à titre posthume. En lui se formule le double manque et se ménage un espace pour faire durer les mémoires et créer un héritage à leur image.
Texte de Horya Makhlouf
Avec le soutien financier de la Direction régionale des affaires culturelles Occitanie
Ainsi que l'installation Festin de papier, réalisé en 2023 durant la résidence Le coutumier accueilli par le Ditep l'Essor de Saint-Ignan, en collaboration avec le Conseil départemental de la Haute-Garonne, La Chapelle Saint-Jacques Centre d'art contemporain de Saint-Gaudens et l'UCRM Cépière.